La journée paraissait longue aux yeux de Lilith, elle s'ennuyait profondément depuis qu'elle s'était levée et avait commencé son quotidien. Assise au milieu de ses amis du quartier, la Laguz écoutait à moitié les commérages du moment, ce que cela pouvait être blasant. Toutes ces ménagères se plaignaient de leurs voisins respectifs pour des broutilles sans nom, comment pouvait-on accorder de l'importance à la manière dont un tel s'était habillé pour une soirée ou encore qui avait-il t'intéressant à connaître toute la liste des personnes qui étaient entré dans la maison bleue à l'angle de la rue.

Lilith ne put s'empêcher de retenir un soupir qui ne passa pas inaperçu, tous les regards se braquèrent sur elle et au même moment elle avait retrouvé son visage souriant et lumineux, ne laissant rien transparaître de son indifférence totale à la conversation. L'heure se termine lentement, la noble salua ses amies et leur promit de les inviter la semaine prochaine chez elle, mais intérieurement, elle réfléchissait déjà à l'excuse qu'elle trouverait pour éviter cela. Elle ne venait que de temps en temps à ses réunions et s'arrangeait toujours pour éviter de recevoir le moins possible ces femmes chez elle.

Juste assez pour ne pas paraître ingrate et ne pas leur laisser l'occasion de fouiner chez elle.

Une fois dehors, Lilith prit une grande inspiration comme si elle était enfin libre de respirer. Elle décida alors de marcher sans réel but, déambulant dans les rues du village animal, elle ne laissait pas indifférent les hommes sur son passage. Il fallait dire qu'elle n'était pas habillée pour une ballade, elle aurait sûrement du rentrer pour mettre une tenue plus confortable et surtout moins visible. Sa robe turquoise lui collait le corps et dessinait ses formes quant à sa parure elle scintillait à chaque fois qu'elle captait un rayon du soleil. Autant dire qu'elle ne passait pas inaperçu au milieu des simples villageois.

Cependant, Lilith n'en avait que faire, elle connaissait la plupart des habitants et ceux-ci connaissaient son exubérance. La Laguz avait déambulé sans vraiment rien faire, l'après-midi allait bientôt se terminer quand elle passa devant une petite boutique qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarqué. Prise de curiosité, elle décida de s'y arrêter avant de rendre la route du retour. En poussant la porte, une petite clochette indiqua sa présence. L'endroit était plutôt sombre, il y avait une simple applique murale diffusant une lumière chaude. Il fallut quelques secondes à Lilith pour que sa vue s'adapter à la pénombre.

Elle put enfin discerner deux ombres dans le fond du magasin. Avançant d'une démarche féline, elle voulut aller se présenter au gérant de la boutique. Derrière le comptoir se trouvait deux deux hommes, l'un d'eux était d'une âge certain, de grosses perles de sueurs coulant le long de son front il dit avec hésitation :

- Bonjour, je m'excuse, mais nous allons fermer.

Il jetta alors un regard inquiet vers le second homme qui se tenait tout proche de lui, une main dissimulée derrière lui. Les cheveux plaqués, il ne dit pas un mot et se contenta d'un regard froid. Lilith trouva la situation étrange, mais ne préféra pas en tenir compte. Elle répondit alors tout simplement :

- Je n'en aurais vraiment pas pour lontemps, s'il vous plaît ! Vous avez de magnifiques créations !

Sans attendre de réponse, elle se tourna vers l'un des portants qui se trouvait vers la caisse pour prendre une étoffe de soie et s'apprêtait à la complimenter, lorsque le plus jeune des hommes l'interrompit brutalement :

- Vous l'avez pas entendu, faut partir ma bonne dame !

En disant ces mots, il s'était décalé et le regard de Lilith se braqua sur son couteau. Elle ne voyait que cela, la Laguz eut beau détourner rapidement le regard, le malfrat l'avait remarqué. La situation était sur le point de dégénérer, plus besoin de cacher son arme, il la pointa sur le vieillard et sur Lilith à tour de rôle en vociférant :

- Jvous préviens, si y en a un qui gueule, je le saigne comme un porc. Toi le vieux tu vas me donner tout ton argent.

Celui-ci s'exécuta, les mains tremblantes, il ouvrit son tiroir caisse et en sortit toutes ces recettes de la semaine pour les mettre dans le sac de toile que lui tendait le voleur. Une fois fait, il passa de l'autre côté du comptoir et s'approcha de la femme, pointa sa gorge de sa lame, il désigna avec celle-ci les bijoux en disant :

- Tu vas me donner ça toi.

Cette fois-ci, ce fut au tour de Lilith de lui couper la parole sèchement :

- Je ne crois pas !

Lilith se saisit de l'écharpe qu'elle avait dans les mains quelques minutes auparavant et l'enroula autour de la main de son agresseur qui la tendait pour lui arracher ses précieuses pierres. Elle avait réagit sur le coup de l'impulsivité, serrant fort les liens, elle tira violemment sur l'écharpe pour faire perdre l'équilibre au voleur. Celui-ci tomba alors tête la première, alors que la laguz reculait tout en tirant pour accentuer son geste.

L'écharpe se délia et le menton du voleur claqua contre le parquet de la petite boutique. Son propriétaire se tenait toujours derrière le comptoir, il semblait être un homme sans histoire lasse de la vie, il ne tremblait plus, mais il regardait la scène avec des yeux équarquillés, comme s'il était encore sous le choc de l'agression. Ce qui ne lui était en rien reprochable, même si le voleur venait d'être mis à terre, il n'en avait pas pour autant lâcher son arme.

Lilith recula encore et se retrouva dos à la porte d'entrée vitrée, il lui sembla qu'une personne passait au même moment, mais il ne valait mieux pas compter sur les passants. Même si elle était respectée et appréciée dans les environs, rien s'assurerait que quelqu'un viendrait à son aide et si la porte s'ouvrait, le voleur risquait de partir au plus vite. Ce n'était pas tant le fait d'aider ce bonhomme qui la poussait à rester.

Elle n'avait jamais réellement pas eu d'instinct héroïque, pas qu'elle ne soit une lâche, mais elle avait toujours privilégié ses intérêts à ceux des autres.

Quoi que la royauté faisait exception. Ainsi, en cet instant, Lilith était restée plus par envie de remettre cet infâme voleur à sa place que dans le but de l'empêcher de commettre son forfait. Lâchant le foulard qui tomba lentement sur le sol, la jeune femme se transforma en lynx, une aura dorée l'enveloppa et l'instant d'après, elle était à quatre pattes, sous les traits d'un animal.

Hurlant sur le criminel pour l'intimider, elle n'avait pas l'intention de le laisser repartir ainsi et lui semblait accrocher fermement à son poignard.

Les poils sur l'arête dorsale du lynx se soulevèrent alors qu'il dévoilait ses crocs. Sous cette forme, il lui était bien plus aisé de se mouvoir, elle avait abandonné cette affreuse robe moulante qui l'empêchait de faire de grands pas contre une peau d'animal bien plus destructrice. Ses griffes étaient bien plus redoutables que le foulard qui gisait à ses pieds ou le couteau que tenait le voleur dans sa main.

Ce dernier ne semblait pas apprécier la situation, resserrant toujours plus fort sa prise sur son arme, il avait complètement délaissé son attention du vieillard derrière lui pour se focaliser sur le lynx qui lui faisait maintenant face. À en voir sa tête, Lilith eut l'impression qu'il n'avait pas vu beaucoup de transformation dans sa vie, ce ne pouvait être que cela !

Un scélérat de Begnion, forcément, ça ne pouvait être qu'eux, comme depuis toujours, le malheur des félins avait toujours un lien avec ces êtres répugnants. La rage de la lynx se manifesta, perdant le contrôle de ses émotions, chose extrêmement rare, elle avait comme l'impression de pouvoir se venger si elle stoppait ce voleur. La perte de son mari était toujours présent en elle.

Mort sur le champ de bataille, la jeune femme n'avait pas eu d'autre choix que d'accuser le camp ennemi responsable de son chagrin et de sa perte.  

Et depuis, il lui était très facile de partir dans ses préjugés. Cette fois-ci ne ferait pas exception, prenant son courage à deux mains, elle s'approcha lentement de sa proie, fouettant l'air de ses griffes pour l'intimer de reculer. Il semblait cependant avoir retrouver sa contenance et il se jeta le premier dans le combat, Lilith put le repousser, mais elle manqua de peu de se faire trancher par sa lame au niveau de la joue.

Le voleur revient alors vers elle, ne lui laissant pas le temps de correctement se retourner. À peine eut-elle tourné la tête, qu'il choisit de lui asséner un puissant coup de talon qui la désorienta et fit reculer jusqu'au comptoir contre lequel elle tomba.

Le vieillard avait esquissé un geste au moment de la chute de Lilith, un geste désespéré et inutile, mais qui démontré qu'il voulait aider.

Cependant, c'était peine perdue, il n'avait aucune idée de comment réagir en voyant la noble ainsi malmenée. Il ne pouvait cependant pas resté là sans rien faire, il prit la première chose qui lui tomba dans la main. Une paire de ciseaux vola alors dans la boutique jusque sur le voleur.

Le commerçant n'avait malheureusement rien d'un redoutable guerrier, il avait peut-être très bien visé sa cible, mais ce ne fut pas le bon côté des ciseaux qui frappa le torse du voleur. Celui-ci dévoila alors un regard bien plus sombre, Lilith eut l'impression d'y voir une lueur de folie.

Il semblerait que la réaction de ses victimes ne plaisait pas au malfrat qui s'écria sans se soucier de savoir si on pouvait l'entendre dans la rue :

- Jvais vous saigner ! Jsuis pas un meurtrier en temps normal, j'aime voler, pas tuer les gens, mais vous ne me laissez pas d'autres choix !  

La laguz s'était redressée, grognant et dévoilant toute sa machoîre, elle ne se laissa pas intimider. Quoi qu'au fond d'elle, elle menait une lutte acharnée pour ne pas se retrouver tétanisée. La situation était en train de dégénérer, cela ne lui plaisait absolument pas !

Elle se maudissait d'être rentrée dans cette boutique, si seulement elle s'était contentée de son quotidien, elle ne serait pas en ce moment même en train de risquer sa vie pour un parfait étranger. Lilith ne pouvait cependant plus faire marche arrière.

Ses crocs dévoilés, son visage était tordu par une grimace menaçante. Elle n'avait plus rien de la douce femme qu'elle prétendait être au milieu des mondanités de la noblesse. En cet instant, ce fut son instinct animal qui la fit réagir. Le voleur, lui, était prêt à fondre sur elle pour la harceler de coups de poignard.

Il se jeta en avant, mais la lynx réussit à l'esquiver, renversant au passage l'un des présentoirs de la boutique et marchant sans ménagement sur les précieux tissus. Cela n'avait guère d'importance en ce moment et même le marchand était plus inquiet pour la belle que pour ses biens matériels.

Lilith dansa ainsi avec l'agresseur pendant de longues minutes. Elle réussit à esquiver chacun de ses coups, le laissant déverser sa rage et bousculant au passage d'autres produits de la boutique. Jusqu'à ce que le voleur s'arrête un instant, pas qu'il soit fatigué, mais à ainsi se battre seul, sa combativité commença légèrement à faiblir.

C'était le moment. Lilith se précipita sur lui, il n'eut pas le temps de lever son poignard, le lynx se jeta de tout son poids sur lui pour le faire tomber à la renverse. Sa tête claqua à nouveau contre le sol et cette fois-ci il cria de douleur et en lâcha son arme. Pour autant, Lilith ne s'arrêta pas là et sortit les griffes pour ensuite appuyer ses pattes avant sur le torse et la gorge du voleur maintenant mis à terre.

Ensuite, le commerçant s'est occupé de lier les mains du mécréant. Lilith attendit qu'il aille chercher l'un des gardes du village pour bouger et retrouver sa forme humaine. Elle n'avait vraiment pas envie de le voir s'enfuir, et ce ne fut pas le cas, à peine cinq minutes après l'affrontement, le voleur fut emmené en prison.

Pour la remercier de l'avoir aussi ardemment défendu, le commerçant a alors tenu à offrir quelque chose à Lilith. C'est ainsi qu'elle sort d'une des cabines d'essayage avec une toute nouvelle robe dorée dessinant parfaitement ses formes. Il semblerait que le vieillard est deviné la couleur préférée de la belle.

Lilith se regarda un long moment dans le miroir, ayant du mal à imaginer qu'un peu auparavant elle avait son visage déformé par un rictus et dégoulinant de bave. Lorsqu'elle se retourna, le vieillard était toujours là, lui aussi à l'admirer. Elle le remercia :

- C'est une robe magnifique, elle est parfaite. Je vous remercie.

Il s'empressa de la corriger :

- C'est moi qui vous remercie en vous la donnant et j'espère que vous n'hésiterez pas à revenir malgré cette première rencontre pour le moins des plus violentes.  

Elle lui adressa un de ses sourires enchanteurs, puis se dirigea vers la porte vitrée. Les derniers rayons du soleil étaient en train de disparaître derrière l'horizon alors que Lilith tournait plus loin dans la rue et que le marchand l'observait ainsi l'éloigner, certain qu'elle reviendrait.